Chronique du Triple Album par « La Blogothèque »

Mendelson : Les vivants

Le 06 Mai 2013 — Par Starsky

En cinq albums, Mendelson a déployé des ailes de géant, révélant par sauts successifs un horizon pour le rock français que l’on n’osait pas espérer. Les titres des deux précédents disques le disent d’ailleurs très bien : ils sont tout seuls au sommet et personne ne s’est amusé à gravir les derniers mètres à leur place.

Au fil des rencontres et des disques, la musique de Mendelson peu à peu a quitté terre, s’est libérée comme le jazz du même nom. Elle a abandonné tous les formats possibles, s’est étendue, ouverte petit à petit, jusqu’à exploser littéralement dans le dernier (triple) album où figure entre autres une chanson de cinquante-quatre minutes et vingt-six secondes enregistrée d’une seule traite. Une chanson dont l’écoute est une expérience à elle toute seule, qui cristallise la force sidérante des compositions textuelles et sonores du duo devenu collectif protéiforme.

Mendelson – Tout refaire

Les textes de Pascal Bouaziz forment une œuvre à part entière, qui témoigne d’une recherche littéraire, poétique, qui va bien au-delà du périmètre habituel de la chanson. Des histoires simples, racontées à la première et à la deuxième personne du singulier. Des phrases tantôt trouées tantôt bégayantes où campent les ordinaires, les disgracieux, ceux qui sous nos yeux restent invisibles. On ne sait pas bien d’où ils viennent ces losers pas du tout magnifiques, ces moins que rien qui sont capables du pire, ces pauvres types qui ne font rien de mal, ni ces monstres terrifiants, ceux du dernier album. Mais peu importe, Pascal Bouaziz les aime, un peu. En tout cas il les considère et c’est déjà beaucoup la considération. À chacun, la musique qui se déplie, grossit, respire, s’amenuise et les mots qui n’ont l’air de rien donnent corps. Pas pour les sauver non, pas pour les excuser. Pour nous montrer encore et encore que le vrai scandale ça n’est pas la mort, mais la vie elle-même. La vie qu’on partage avec les fous, les mal finis, les voisins un peu fades, les tortionnaires, les travailleurs, les conjoints. La vie qu’il faut bien vivre. La vie des souvenirs ensoleillés, trop rares. La vie « qui abîme les vivants ».

Si Mendelson était un bon groupe de rock, il nous aurait laissé un chef d’œuvre par disque. C’est à ça qu’on les reconnaît les bons groupes, non ? Pas forcément un tube, mais une bonne grosse claque, un truc qu’on n’oublie pas de si tôt. Mais Mendelson ne joue pas dans cette cour-là. Les chefs d’œuvre (on parle bien des chansons qui vous ravagent, qui vous secouent, qui vous changent) ils nous les offrent par brassées. Il y a « 1983 (Barbara) » bien entendu, qui, en replongeant dans la pureté obsédante d’un amour d’enfance et ce qu’il y a autour, fout à genoux tous ceux qui sont nés entre 1970 et 1975. Mais pas que. De « L’Ardèche » et ses rêves mal barrés, de la rupture à peine digérée de « Café tabac », du machisme de petit garçon boudeur de « Marie-Hélène », de la baignoire tragique de « Bienvenue à Lacanau », de l’ami perdu de « Par chez nous », de la justesse hystérique de « J’aime pas les gens », des «heures » qui n’en finissent plus et qui mènent au pire, on ne se remet pas non plus.

Il faudra sans doute une année entière pour finir d’explorer le nouvel album du groupe, sécher avec lui quelques larmes résiduelles, poser deux ou trois nuits une face sur la platine et se laisser flotter, hypnotisé, terrifié, asphyxié. On n’inventera pas de nouveaux superlatifs, ce serait ridicule et un peu indécent. On se taira sans doute.

Une chose est sûre : on n’a jamais entendu ça. Tant d’ambition et de simplicité réunies. Tant de liberté. Tant d’horreurs.

En attendant, il faut aller voir jouer Mendelson à La Villette Sonique, le 23 mai au Cabaret Sauvage. Parce que c’est rare, Mendelson en concert. Parce que rien de tout ce qui vient d’être dit n’est seulement le fruit de séances d’enregistrement un peu magiques bien planqués en studio. Parce que sur scène le groupe et ses chansons sont plus immenses encore et que Pascal (dont le « salut, on est les Louise Attaque » d’un concert fort ancien à Montauban m’a marqué à jamais) est parfois, aussi, très drôle.

http://www.blogotheque.net/2013/05/06/les-vivants/

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